Depuis jeudi matin et jusqu’à vendredi soir, le tribunal correctionnel de Caen juge treize ex-détenus du centre pénitentiaire (420 détenus pour 420 places) pour un trafic de cannabis organisé à l’intérieur même de la prison, entre janvier 2009 et mars 2011. Depuis leur mise en examen pour trafic de stupéfiants, ces treize prisonniers caennais, tous déjà lourdement condamnés, ont été transférés dans d’autres prisons. La découverte de 200 grammes de cannabis dans une cellule avait entraîné, en 2011, l’ouverture d’une enquête confiée aux gendarmes de la section de recherches de Caen. L’irruption des uniformes a quelque peu bouleversé l’univers pénitentiaire.

Les épouses complices

Les soupçons initiaux de complicité parmi les surveillants ou les intervenants extérieurs (professeurs, assistants sociaux…) ont progressivement été écartés au profit de relations amicales et familiales extérieures. Aujourd’hui incarcéré à Fleury-Mérogis, Adil El Filou, 33 ans, et son frère sont décrits comme les deux bras droits de Mohamed Guagua, l’organisateur présumé de ce trafic très hiérarchisé. La petite amie d’Adil El Filou aurait livré “au moins six plaquettes de shit à l’occasion de parloirs”. Afin d’assurer un minimum d’intimité lors des visites, des paravents sont dressés. Une atmosphère propice à tous les échanges…

Selon le rapport d’enquête, Adil El Filou, qui purgeait une peine de dix ans de prison pour viol en réunion, “servait d’homme de main pour récupérer l’argent du trafic : il gérait le compte”. Il aurait été vu, à plusieurs reprises, “coupant des plaquettes de 100 grammes”. Plusieurs détenus devaient tenir les cellules à disposition lors des transactions, d’autres faisaient le guet… Chaque mois, jusqu’à 300 grammes auraient été vendus. Comme d’autres détenus, Adil El Filou possédait un téléphone portable bien utile pour organiser livraisons et paiements. Une partie des 20 000 euros de la recette mensuelle a été récupérée à l’extérieur de la prison : les épouses des organisateurs du trafic encaissaient le montant des achats auprès des épouses des détenus-acheteurs.

Le détenu souffre-douleur

Autre affaire, non moins embarrassante, mais bien différente : du 21 au 28 mars, la cour d’assises de la Manche jugera à huis clos deux détenus accusés d’avoir frappé, violé et même torturé un de leurs compagnons de cellule en décembre 2009 et janvier 2010. Le 7 décembre 2009, un Normand de 34 ans, presque sous tutelle (curatelle renforcée), est incarcéré pour trafic de stupéfiants. Il est placé dans l’une des trois grandes cellules de la maison d’arrêt de Coutances (40 places, 72 détenus) : il y cohabite avec huit autres prisonniers. Selon les auditions de la PJ de Caen, l’enquête de l’Inspection générale des services judiciaires et de l’instruction a permis de retracer le calvaire de la victime. Dernier arrivé dans la cellule, il y devient l’homme à tout faire, chargé de réveiller les détenus pour l’atelier ou de préparer le petit déjeuner.

Puis tout dégénère : le malheureux est contraint de sauter du troisième niveau des lits superposés, ce qui lui provoque une fracture du talon. S’y ajoutent coups de poing et coups de pied, qui entraînent de multiples fractures au visage. Lorsque les faits sont découverts, les médecins prescriront trois mois d’arrêt. Cette triste litanie s’accompagne de brûlures sur les fesses ou la paume des mains à l’aide d’une cuillère chauffée sur un réchaud. Avec dans la bouche un torchon pour étouffer les cris. Enfin le malheureux est violé à trois reprises avec un manche à balai. Ces scènes hallucinantes se déroulent alors que d’autres codétenus jouent aux cartes ou regardent la télévision. Ces six codétenus sont aussi jugés aux assises pour non-assistance à personne en danger et non-dénonciation de crime.

http://www.lepoint.fr/societe/ces-prisons-ou-l-on-ne-surveille-pas-grand-chose-15-03-2012-1441651_23.php