Contrôles au faciès : “Je suis black, ils n’en arrêtent qu’un, c’est moi”
Par Emeline Cazi
Quinze hommes âgés de 16 à 47 ans, victimes, selon eux, de “contrôles d’identité disciminatoires” ont déposé un recours contre l’Etat, mercredi 11 avril. L’ONG anglo-saxone Open Society Justice Initiative entend dénoncer ainsi une “discrimination institutionnelle”. Les quinze personnes ont chacune recueilli l’attestation d’un témoin de la scène qu’ils dénoncent. Récit de deux de ces contrôles ordinaires portés devant le juge.
Mounir, 20 ans, étudiant en école de commerce dans le Nord.
Un après-midi d’octobre2011, métro Croix-Mairie à Roubaix, aux environs de 16heures. “J’étais avec un ami. On sort du métro, j’aperçois trois hommes, crâne rasé, derrière les portillons. L’un des policiers, en uniforme, me dit “eh toi là-bas, viens ici, contrôle d’identité”.” Mounir s’approche. “Contrôle d’identité, donne-moi ta carte”, répète-t-il. Mounir n’a jamais sa carte d’identité sur lui, seulement sa carte bancaire et sa carte d’étudiant, qu’il présente.
L’échange est sec. Tu vas où?, demande le policier. “A mon école.” Et tu fais quoi comme études?, “Une école de commerce.” “Il m’a reposé la question. J’ai répété: “Une école de commerce.”” Est-ce que tu as de la drogue sur toi ou des objets dangereux?, poursuit l’homme en uniforme. “”Non”, je lui ai dit. Je lui ai présenté mon sac à dos pour qu’il vérifie. “C’est bon”, m’a-t-il répondu. Il ne m’a pas fouillé, et m’a laissé partir.”
Depuis ce jour, une seule question obsède Mounir: “Pourquoi moi?” Pourquoi, alors qu’ils sont une dizaine à sortir du métro cet après-midi-là, le contrôle tombe sur lui. “Je suis black. Ils n’en arrêtent qu’un, c’est moi. C’est moi le suspect du wagon. Tous les autres sont blancs. Un black, un rebeu est forcément une personne malsaine, délinquante, quelqu’un qui a de la drogue ou une arme sur lui.” Il n’y a pas eu de palpation mais ce contrôle, “choquant” pour Mounir, est venu s’ajouter à toutes ces vexations du quotidien qui font qu’il a parfois le sentiment d’être un citoyen de seconde zone. “Quand je demande mon chemin, les gens sont toujours sur leurs gardes. Quand je dis que je fais une école de commerce, ils ont l’air étonnés. J’ai tous les stéréotypes du mec qu’il faut éviter: black, jeune et… en plus j’habite Roubaix.”
S’il n’a pas hésité à assigner le ministère de l’intérieur en justice, “c’est pour montrer qu’on n’est pas tous des délinquants”. “Qu’il y a des personnes bien, victimes de préjugés, et qui ne veulent pas être mises à l’écart. C’est à nous de faire le premier pas, c’est comme ça.”
Nadir, 20 ans, en licence d’expert-comptable à Lyon.
C’était un samedi soir, le 1eroctobre 2011. Nadir et Armel, “bien coiffés, prêts à aller en soirée”, s’installent à la terrasse d’un McDo de Lyon. Il est 22h30. “J’avais mes mains sur la table, le téléphone [dans l’une] pour répondre aux messages”, précise Nadir. Les deux copains se racontent leur journée. “J’ai entendu une voiture s’arrêter (…) derrière moi. J’ai su que c’était le camion de police car je l’ai vu plusieurs fois faire le tour par la ruelle.” Les portières claquent. “Contrôle d’identité”. “Pourquoi?”, demande Nadir. “Pour rien, c’est un contrôle banal!” “Avez-vous quelque chose d’illicite sur vous?”
Les deux amis ne fument pas. “Faites pas semblant, on l’a vu le morceau de shit!” “On s’est mis debout (car c’est une habitude de se faire contrôler), raconte Nadir. On a sorti nos papiers et j’ai essayé de leur dire qu’ils s’étaient trompés.” Armel est prié de lever les bras. “Le deuxième agent (…) a passé ses mains autour de lui (…), du torse jusqu’aux chevilles en passant par son fessier.” “Les personnes qui étaient assises à table nous scrutaient (…). C’est vraiment très humiliant (…)”. “Je me fais souvent contrôler, surtout lorsque je suis en centre-ville de Lyon”, poursuit le jeune homme. “Certains mois (…), jusqu’à dix fois. On n’a jamais rien trouvé sur moi, je n’ai pas de casier. Je suis sérieux, je suis en licence d’expert-comptable et animateur à la radio.”
Emeline Cazi
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