Dany Leprince a fait un grand pas vers une remise en liberté : le tribunal de l’application des peines de Melun, où il est incarcéré, a levé jeudi 19 avril sa peine de sûreté, qui courait théoriquement jusqu’en juin 2017. Sa demande de libération conditionnelle ne sera, en revanche, examinée qu’en septembre et le condamné reste en attendant en prison. Mais le soulagement est immense pour cet homme accusé de quatre meurtres et qui crie depuis dix-huit ans son innocence : il s’est vu refuser successivement une révision de son procès, une grâce présidentielle et un examen de son dossier par la Cour européenne des droits de l’homme.

« C’est un peu de ciel bleu, sourit Me Yves Baudelot, l’un de ses avocats. Cela répare un peu la décision de la Cour de révision. Le jugement de Melun n’est pas motivé par l’innocence de Leprince, mais je suis convaincu que la force de son combat n’est pas étrangère à la décision rendue. »

Dany Leprince a été condamné le 16 décembre 1997 par la cour d’assises de la Sarthe à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de vingt-deux ans. Il était accusé d’avoir tué le 4 septembre 1994 son frère, sa belle-sœur et deux de ses nièces de 6 et 10 ans avec une feuille de boucher, un gros hachoir qui sert à découper les côtelettes, dans un petit bourg de la Sarthe, Thorigné-sur-Dué. Seule la plus jeune fille du couple, Solène, 2 ans, avait été mystérieusement épargnée.

"Irrévocablement" coupable

Le mobile du crime est incertain, l’horaire douteux et l’arme discutable ; les gendarmes n’ont pas pu produire une seule preuve matérielle contre lui, et il n’avait pas une goutte de sang sur lui après l’horrible massacre. Mais des aveux, vite rétractés, sur le seul meurtre de son frère, et les témoignages croisés de sa femme et de sa fille, pourtant en partie contradictoires, ont suffi à le faire lourdement condamner. Leprince n’avait pas d’avocat en garde à vue, le procès d’assises en appel n’existait pas et le dossier était suffisamment mal ficelé pour que la Commission de révision des condamnations pénales, après cinq ans d’enquête minutieuse, décide de le remettre en liberté en juillet 2010. Huit mois plus tard la Cour de révision l'a réincarcéré, en estimant qu’il n’existait pas « d’éléments nouveaux » de nature à faire douter de sa culpabilité.

Dany Leprince est donc, aux yeux de la justice, « irrévocablement » coupable. Ses deux avocats, Mes Yves Baudelot et Etienne Noël, ont ainsi saisi le 30 septembre 2011 le tribunal d’application des peines d’une demande de libération conditionnelle et au préalable, du relèvement de la période de sûreté. Le détenu a été transféré au Centre national d’évaluation de Fresnes du 8 janvier au 19 février pour une série d’examens et d’expertises. L’expertise psychiatrique, des docteurs Georges Breillat et Jean Ferrandi n’est pas brillante. « Dany Leprince continue à camper sur sa position d’innocence, écrivent les psychiatres. D’un point de vue psychanalytique, cela renvoie très probablement à un mécanisme de fonctionnement psychique inconscient, appelé déni de la réalité ». Du coup, « si le sujet était placé dans un contexte de grandes tensions internes ou de grandes difficultés externes socioprofessionnelles et relationnelles, il n’est pas à l’abri de réitérer le même type de réactions meurtrières »…

Dany Leprince a répondu simplement que s’il campait sur son innocence, c’était parce qu’il était innocent. Le tribunal de Melun, présidé par Valérie Hamon, a sagement fait remarquer aux experts qu’il n’avait eu aucun incident en dix-sept ans de détention ni pendant ses huit mois de liberté. Dans un complément d’expertise demandé par le tribunal, les psychiatres se sont tortillés en faisant valoir qu’il n’avait pas encore été dans « un contexte de grandes tensions internes » ou « de grandes difficultés externes »…

Comportement exemplaire

Le tribunal a considéré, non sans un certain courage, que Leprince « a fait preuve pendant toutes ces années de détention d’un comportement exemplaire. Il a toujours travaillé et son travail a été apprécié, et reconnu », on l’a même trouvé « loyal et travailleur ». Il s’est certes battu pour son innocence, mais « ce combat a toujours été fait dans le respect des règles judiciaires en utilisant tous les recours qui lui étaient offerts, et toujours de façon pacifique ». Y compris en restant tout nu sept mois dans sa cellule, pour expliquer qu’il était « nu devant la justice ».

Il n’a pas indemnisé les parties civiles (la jeune Solène) parce qu’il se disait innocent du crime, mais « a cependant manifesté son intérêt et son empathie pour Solène, relève le tribunal, et entend procéder à des versements volontaires ». Pendant ses quelques mois de liberté avec sa nouvelle épouse, Béatrice Leprince, il s’est « parfaitement comporté, avec dignité, ne tombant jamais dans le vedettariat et la victimisation ». Il a, en somme, donné « des gages sérieux de réinsertion sociale et a démontré sa capacité à accepter les règles judiciaires ».

La peine de sûreté est ainsi levée. On attend encore l’avis de la Commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, pour une libération conditionnelle. Elle a été saisie le 19 octobre 2011, Dany Leprince a quitté Fresnes le 19 février 2012, le rapport n’est toujours arrivé jusqu’à Melun – on voit que les membres de la Commission, eux, n’attendent pas en prison. Le tribunal a repoussé sa décision au mois de septembre, en attendant cet avis.

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