La mise en examen du gardien de la paix de Noisy-le-Sec pour « homicide volontaire » a provoqué la colère de ses collègues. Pour de nombreux policiers de terrain, cette mise en cause — sévère — réveille une colère enfouie.

Tour d’horizon des principaux griefs évoqués par une profession traditionnellement très revendicatrice.

1 De la difficulté de faire usage de la force

Représentants de l’Etat, les forces de l’ordre sont le garant de l’usage de la violence légitime. Or le drame de Noisy-le-Sec a mis en lumière une thématique jusqu’ici rarement abordée. « Par peur des poursuites, je ne connais pas un seul policier qui n’ait pas la peur au ventre à l’idée de faire usage de son arme », lance un commissaire de province, en poste dans une ville moyenne. « Le niveau d’exigence de la population s’est accru et c’est parfaitement normal. Mais, même avec des armes non létales type flash-ball ou Taser, on est constamment critiqué », ajoute un commissaire francilien.

Dans l’ensemble, les policiers réclament un assouplissement des règles d’engagement de tir. Plusieurs d’entre eux ont en mémoire ce drame du mois d’octobre au cours duquel une jeune policière avait été tuée à coups de sabre par un forcené à Bourges (Cher). « A l’époque, les collègues n’avaient pas su comment réagir. Ils n’avaient pas osé sortir leur arme », rappellent deux officiers. « Il faudrait qu’on puisse contextualiser la légitime défense. Tout se joue en une demi-seconde, pour évaluer la situation et tirer ou pas. C’est terriblement rapide », analyse Thierry Satat, du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP) en Seine-Saint-Denis. « On a tous la crainte de se retrouver dans la situation de notre collègue », ajoute Christophe Carrez, représentant départemental Unité-SGP-FO. Les magistrats, eux, temporisent. « La loi actuelle laisse la possibilité aux policiers de prouver leur bonne foi », confie Sophie Combes du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche).

2 Des rapports conflictuels avec la justice

Mis en cause pour leur prétendu laxisme, les magistrats sont une nouvelle fois pointés du doigt par les policiers. « Si l’on voit vingt fois un même individu pour des faits similaires, c’est bien que la justice ne fait pas son travail », persifle un policier de Seine-Saint-Denis. « Trop souvent, la prison est l’exception. Quant aux peines planchers, elles ne sont que rarement appliquées », ajoute le responsable d’un syndicat policier francilien. « Lorsqu’un délinquant est arrêté et que la réponse des juges est trop faible, c’est difficile de remonter le moral des troupes », complète un commissaire. « Nous n’appliquons que le droit, répond Sophie Combes, ancienne juge à Bobigny. Même en cas de récidive, nous devons regarder les chances de réinsertion du mis en cause. Un dealeur pris deux fois en train de vendre une barrette de cannabis risque quatre ans ferme. S’il a un contrat de travail, cette peine a-t-elle un sens? » « L’incompréhension vient du manque de communication entre policiers et magistrats, déplore Virginie Valton de l’Union syndicale de la magistrature (USM, majoritaire). Certains tribunaux, comme Bobigny, ne sont pas à taille humaine, et ne permettent pas aux juges d’expliquer aux policiers le sens de leur décision. » Quant aux délinquants relâchés sans poursuite, « c’est souvent la conséquence d’un manque de preuves, les policiers n’ayant parfois ni le temps ni les moyens de les réunir », estime Sophie Combes. « Malgré tout, qu’on le veuille ou non, certains magistrats ont une approche idéologique et militante de leur métier, même si ce n’est pas la majorité », admet un juge sous couvert d’anonymat.

3 Manque d’effectifs et course aux chiffres

Ce n’est pas la revendication que les policiers souhaitent mettre en avant aujourd’hui, mais pas un d’entre eux ne nie que la baisse des effectifs (moins 13000 en cinq ans selon les syndicats) pèse depuis plusieurs années sur leur quotidien. « Rien qu’en Seine-Saint-Denis, il manque plus de 400 policiers », a rappelé hier Claude Bartolone, le président PS du conseil général de ce département. « Pour les interventions de terrain, le niveau d’exigence s’est accru ces dernières années, tandis que les effectifs baissaient. Quand on est seul pour interpeller un individu, ce n’est pas aussi facile que si on est six », remarque un commissaire d’Ile-de-France. « La politique du chiffre qui nous demande d’avoir toujours plus de résultats, ça a eu le mérite pour nous, d’être plus vigilants. On s’adapte, note un autre. Mais bon, les discours incantatoires, ça a des limites. »

Le Parisien