« Je suis un tigre, et un tigre ne se brosse pas les dents » Mao-Tse-Tung.

« Prenez quand même un chewing-gum, Emile » Odile Deray.

Scène de ménage, en ce jour de printemps :

Un quarteron de thons défaits franchement encartés et fraichement écartés fait ses cartons à tâtons. Avec mes lumpencollègues, les intouchables, nous matons ce bal des nazes, ce crépuscule du gratin qui pleure de concert sa panure ancienne et sa panade nouvelle. Pour nous , l’air est aussi iodé et doucereux qu’une brise du Pacifique dans la tignasse de Tim Buckley.

Mon esprit baguenaude, il quitte un peu ces vaines bitches pour Venice Beach.

Un gros commissaire Aryen, en sueur, trottine sans fin, un carton rempli de coupes dans les bras : comment ce gars, qui n’a jamais rien gagné de sa vie peut-il trimballer autant de trophées ? Son regard d’enfant progéroïde réclame notre pardon. On dirait un boyscout qui aurait trouvé le sex toy de sa grand’mère…
Une jeune arriviste, que j’avais vu se faire déclencher l’arrosage automatique sur sa petite pelouse à l’énoncé des résultats, il y a cinq ans, et qui depuis n’en avait pas fini de sécher sur pied, promène sa misère et sa carte de membre dans les ruines fumantes de ses espoirs de promotion : She won’t Guaino satisfaction, on dirait.

On se croirait à la fin d’un épisode de Cold Case, quand le fantôme du petit noir tué en 1957 fait un signe et un sourire au personnage ému qui range au ralenti un carton avec l’inscription « Closed ». Un frère, un ami, passé du côté de l’herbe plus verte et des filles à soldats, me lance un regard de basset artésien, tandis que les déménageurs les poussent au cul , lui et son siège ministre glané à la
sueur d’une valse des pantins, de son valseur de putain..

Il brise à peine, par sa geignarde solitude, cette atmosphère océane qui emplit d’iode mon réduit de travail… De son œil quémandant, il me demande grâce, que je lui joue la scène du « te voilà pomponette ». Mais non, va chier dans ta caisse, Pomponette, avec ton blaze de chrysanthème et tes feulements de salope. Il n’en a rien à foutre, le ponpon, il peut vivre sans chatte, pas sans gagner son pain…et puis il n’a pas envie de se bouger, les pieds en croix sur son bureau, il observe ses bourreaux en croix. Il a la flemme, la flemme du boulanger. Plus envie de marcher à la baguette.

Des Pol-Pot de bazar nous prendront soudainement par l’épaule et improviseront des pots de départs bizarres et larmoyants , dans le local technique, entre le massicot et les vieilles machines à
écrire, avec la plus suceuse des secrétaires, pompette, qui pleurera sa mère en offrant à bibendum un coupe-papiers … Nous y ferons la claque, à ces apéritifs Guéant, avant de nous perdre dans l’euphorie d’une nuit de 04 Août.

C’est que nos claques se perdent, depuis que la politique du chiffre est devenue politique du chibre. Ils y croyaient pourtant, ces tordus qui maniaient la serpe, hier et se tordent aujourd’hui devant nous comme des serpillères. Ils ont vendu leurs culs et nos crânes contre du vent et des bijoux, ils repartiront avec un verre de méthode champenoise dans le cornet, un sous-mains pourri et, pour les moins répudiés, les bons Shell de leurs Laguna Diesel de fonction.

Les fauves n’ont plus faim, leurs crocs sont gâtés, ils se coucheront devant nous. Miaou.

Ils n’oseront plus mordre la viande des suppliciés, de peur de chopper un ténia mérité et se contentent de toasts mous au tarama. A force de nous désincarner, il n’ont plus rien à ronger sur nos os, c’est malin. Nos chairs et nos âmes peuvent respirer un peu.

Et quand Miss Moneypenny, bourrée comme une cantine, voudra prendre tout le monde en photo à la fin des agapes, nous ferons des doigts par derrière, des oreilles de lapin aux récipiendaires qui portent bien ce nom, tout plein d’air qu’il sont, transparents et remplis raz la gueule d’ambition frelatée.

Je vais aimer, du premier rang, applaudir à tout rompre ces avanies publiques et impudiques, ces chutes cocasses vers l’oubli, les haricots en boîte et les matinées à regarder Motus.

Tant d’habits amidonnés, d’amis donnés, de rapports bidonnés pour finir les jambes ballantes, assis comme Rain man à l’arrière d’un camion Demeco. Leurs larmes couleront alors, leurs yeux s’embrumeront, tout leur paraitra flou. Je placerai « End of a century » en fond sonore, car après tout, ils n’ont pas le monopole du Blur. Ils diront des mots tout doux, tandis que résonneront de concert « Happy Hour » des Housemartins depuis mon bureau et le « tutut » du camion IVECO garé en bas, en double-file. Ils m’assureront que c’était pour mon bien, me parleront comme autant de Winnie se disputant une trainée de miel le long de mon entrejambe.

J’étais le mont valait rien, le mont gogol tas.

De ver du bois, termite, je deviens enduit, lasure, le mont de vénus, la vallée parfumée des appétits hiérarchiques. Rien à faire, je ne sourirai qu’aux anges, et tournerai les talons : on ne fait pas confiance à un musicien du Titanic qui vous demande de tenir son violon tandis qu’il relace son soulier.

Ces grands flics ne me manqueront pas : je vénère Lester Bangs, pas papy Broussard et ses Méphistos.

D’ici quelques semaines, nous remettrons sans doute la liquette en nylon pour taper le foot avec des jeunes qui bicravent. Nous enfilerons de nouveau les adidas copa mondial pour défier sur le pré la génération Sefyu, ce sera un ordre.

Nous allons arrêter d’arrêter des gens. Nous sortirons nos rates du court-bouillon. Car l’histoire, à défaut de la faire, nous ne la connaissons que trop. Le nouveau proprio soulèvera d’abord les papiers peints, se plaindra haut et fort des peintures qui s’écaillent, des lézardes planquées par de l’enduit dégueulasse… Il mettra au compte de l’aboulie de l’ancien taulier l’état de ruine générale du machin.

Puis la saison froide viendra, celle où il préfèrera siroter son Royco (poulet, pour le coup) au lieu d’aller poncer et briquer la façade, celle où il laissera deux parpaings en équilibre là où il avait prévu d’élever un muret en pierre blanches du Gard. Qu’importe, pour le moment, l’essentiel est comme Christian Dior, il est ailleurs.

Pleutres encartonnés, emportez tout ce que vous pouvez, mais débarrassez mon plancher.

Les déménageurs attendent :

Pour vous, le chargement, c’est maintenant.

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