De l’art de retourner en sa faveur une manifestation anti-gouvernementale : le fait-divers de Noisy-le-Sec restera dans les annales du sarkozysme policier. C’est comme d’habitude dans le détail que se détecte la manipulation, destinée à renverser une mauvaise vapeur surgie entre les deux tours de l’élection présidentielle après la mise en examen d’un gardien de la paix pour homicide volontaire.
Tout commence donc dans la soirée du mercredi 25 avril, lorsque des fonctionnaires en poste dans le 93, département le plus difficile qui soit pour la police, se rassemblent pour dire leur colère contre la décision que vient de prendre un juge d’instruction du tribunal de Bobigny : la mise en examen pour « homicide volontaire », avec interdiction d’exercer son métier, du gardien de la paix auteur d’un coup de feu mortel contre un jeune braqueur trois jours plus tôt. A l’origine de ce rassemblement, le SGP Unité police, syndicat majoritaire, ne peut empêcher une centaine de fonctionnaires de monter à bord d’une quarantaine de voitures de service, direction la capitale.
Le mouvement d’humeur est spontané. Le cortège se dirige naturellement vers la Place Beauvau, la « maison » du patron, Claude Guéant. Au cabinet du ministre, l’inquiétude monte. Hugues Moutouh, conseiller auprès du ministre et homme fort de l’équipe, prend les choses en main. Des CRS sont déployés sur le terrain et stoppent le cortège. A cet instant, plusieurs SMS circulent, incitant les manifestants à prendre la direction de la Place Vendôme, la « maison » du ministre de la Justice. Aurait-on bloqué les voitures en chemin ? Nul ne le saura jamais, mais la suite des événements, avec un ministre de l’Intérieur qui n’hésite pas à critiquer publiquement, à plusieurs reprises, les décisions des magistrats, laisse penser qu’on aurait laissé faire au nom du réalisme politique.
Le lendemain matin, 26 avril, nouveau rassemblement de policiers à Bobigny. Les syndicats ne sont pas officiellement à la manœuvre. Une coordination apparemment spontanée se met en place. La récupération du mouvement est en marche, pilotée en direct par plusieurs policiers affiliés à l’UMP, sous l’œil professionnel et aguerri d’un homme à qui on ne la fait plus : Christian Lambert, préfet de Seine-Saint-Denis (et intime de Nicolas Sarkozy).
Le président candidat tient précisément meeting ce jour-là non loin de là, au Raincy. Il est prêt à accorder une quinzaine de minutes aux policiers. Lesquels ? La petite délégation embarque à bord d’une voiture pilotée par un responsable du syndicat « ami », Alliance, deuxième force dans la police en tenue. Porte-paroles autoproclamées de la coordination, ils reviendront devant leurs collègues deux heures plus tard pour faire acclamer « super-Sarko » et applaudir leur préfet. Chargés de bonnes nouvelles, ils annoncent la mesure du jour, empruntée par Nicolas Sarkozy au programme de Marine Le Pen : la présomption de légitime défense pour les policiers. Cerise sur le gâteau, le policier mis en examen continuera à être payé. Une découverte pour la coordination, mais pas pour les secrétaires généraux des principaux syndicats : ils en ont été informés dans la nuit, lorsqu’ils ont été reçus par le cabinet de Claude Guéant.
« Vous pouvez être fiers de vos collègues ! » lance habilement le préfet Lambert à la troupe. La colère contre la politique gouvernementale, cette manif sauvage qui aurait pu tourner au fiasco, se transforme en plébiscite pour le président-candidat. Qui flatte au passage les électeurs du Front national, assez nombreux, selon plusieurs sources fiables, dans les rangs de la police.
Alors que circulent des SMS appelant les policiers à lever le pied sur les interpellations, la coordination inonde les portables de SMS appelant au calme. Bien joué encore.
La séquence suivante se déroule au QG de François Hollande. La rumeur ayant circulé que le candidat Sarkozy recevrait les leaders syndicaux de la police, le candidat socialiste a décidé de faire de même. Rendez-vous a été pris pour 17 h 30. Petite surprise à l’arrivée : c’est un délégué du syndicat Alliance qui s’exprime devant les caméras au nom de la coordination. Alliance qui depuis le matin fait circuler une pétition réclamant… la présomption de légitime défense.
Flanqué de Manuel Valls, son porte-parole, et du député PS Bruno le Roux, François Hollande sonde les représentants syndicaux sur la mesure proposée par son adversaire. Deux sur six sont pour : le secrétaire général d’Alliance et celui de Synergie, deuxième force chez les officiers (dont l’ancien secrétaire général suit les questions de sécurité à l’UMP). Les quatre autres, les secrétaires généraux du SGP Unité police, du SNOP (syndicat national des officiers de police) et du syndicat des commissaires, majoritaires dans leur corps respectif, ainsi que celui de l’UNSA sont contre. François Hollande se rallie à cette position majoritaire.
Fin provisoire d’une séquence qui aura vu exceller le candidat Sarkozy dans ce qu’il fait de mieux, l’exploitation des faits-divers, sans pour autant parvenir à déstabiliser son adversaire.
Ultime révélation : la famille de la victime, le récidiviste Amine Bentousi, 29 ans, en cavale après sa condamnation à 10 ans de prison pour le braquage foireux d’un magasin Champion, a renoncé à organiser une marche silencieuse « pour ne pas entraver le cours de la justice ». Elle y a renoncé après un appel pressant de Jean-François Copé, maire de Meaux, la ville dont est originaire Amine Bentousi. Mais aussi, selon son avocat, le pénaliste Michel Konitz, parce que la sœur de la victime « a confiance dans la justice ». Apparemment plus que l’actuel président de la république, qui n’a de cesse de la stigmatiser.
http://www.marianne2.fr/fredericploquin/Police-revelations-sur-la-grande-manip-de-Noisy-le-Sec_a75.html