Les manifestations de policiers de multiplient dans le pays. Deux jours avant le deuxième tour de l’élection présidentielle, ils doivent encore défiler dans la capitale. Du jamais vu. La Place Beauvau est-elle à la manoeuvre ?

Une page se tourne. Pendant 10 ans, Nicolas Sarkozy et la police ont flirté à ciel ouvert. “Ses” flics ont attendu la dernière ligne droite pour dire leur malaise. Ils ont choisi l’entre deux-tours de l’élection présidentielle pour offrir un feu d’artifice contestataire, toutes sirènes hurlantes, à ce président qui a cru qu’en augmentant les salaires il aurait la paix. Et contester publiquement tout ce qu’ils subissent en silence depuis cinq ans : la culture du chiffre, cette dictature des statistiques qui les étouffe, les budgets de fonctionnement qui fondent au point de friser la misère, les effectifs en baisse et cette pression permanente d’une Place Beauvau qui instrumentalise et théâtralise la lutte contre l’insécurité aux dépens de ses acteurs.

Les flics de Sarkzoy sont dans la rue, de Nice à Nantes, de Marseille à Paris (où ils ont encore prévu de défiler le 4 mai), en passant par Lyon et Marseille. Le plus souvent en uniforme. Jamais ils n’auraient osé pendant le quinquennat, mais bizarrement, c’est la Place Beauvau elle-même qui leur a tendu la main. Comme si cette pression policière entre les deux tours ne déplaisait pas au pouvoir en place… même si elle est exercée contre elle. La preuve : il a fallu attendre une semaine pour que la direction générale de la police intervienne (très mollement) pour demander que l’on relève les numéros d’immatriculation des voitures des manifestants.

Paradoxalement, ce n’est pas la mort d’un policier qui a sonné le ralliement général… mais la mort d’un petit caïd tué par un gardien de la paix en proie au stress. Un certain Amine Bentounsi, braqueur de supermarchés en cavale, qui a commis l’erreur de prendre la fuite alors que les gardiens de la paix s’approchaient, sur une petite place de Noisy-le-Sec, au cœur de cette Seine-Saint-Denis désignée ennemie public numéro 1. Avant de brandir un révolver contre son poursuivant.

Devant la police des polices, le jeune gardien de la paix a reconnu avoir tiré parce qu’il se sentait en danger. Il a cru qu’il « allait mourir ». « Il était face à moi, répète-t-il. Il m’a braqué ». Malheureusement pour lui, un témoin raconte une tout autre histoire. Il a vu un homme courir avec une arme à la main, trébucher, se relever, poursuivi par un autre homme, armé lui aussi. Il a pensé à un règlement de compte et vu le poursuivant tirer « au jugé, en courant ». Quant aux collègues du tireur, ils n’ont rien trouvé de mieux à faire que de ne pas laisser intacte la scène de crime, allant jusqu’à ramasser les étuis des quatre balles.

Le juge d’instruction a jugé les éléments suffisamment concrets pour asséner au fonctionnaire la mise en examen la plus lourde, pour « homicide volontaire », non sans lui glisser cette réflexion lourde de menace : « Vous avez de la chance que je ne vous mette pas en prison ! » Vengeance d’un juge qui n’a pas apprécié les saillies du président candidat contre sa corporation ? Le fossé, on le sait, est à son comble entre les deux institutions.

Le lendemain, les collègues du gardien de la paix, délégué syndical d’Unité SGP Police (première force syndicale), se mobilisent. C’est là que les conseillers de Claude Guéant flairent l’aubaine. Plutôt que de s’opposer au mouvement qui nait, ils lèvent toutes les barrières (ou presque), ce que les policiers entendent comme un feu vert. Puisque l’administration ne sanctionne pas, les cortèges sauvages se multiplient dans tout le pays.

La souplesse de la hiérarchie cache-t-elle quelque chose ? Quelques artificiers ne voient-ils pas d’un bon œil la mèche de la colère policière s’allumer pour exploser après le deuxième tour ? Doit-on voir derrière cette éruption policière un coup similaire à celui qui mit le feu à la gare du Nord à la veille de la dernière élection présidentielle ? Misant sur le court terme, le gouvernement joue-t-il son dernier va-tout avant le vote ? L’hypothèse est prise au sérieux dans l’entourage de François Hollande. À la manœuvre, derrière les « coordinations », les délégués du syndicat Alliance. L’organisation, deuxième force syndicale, dont le secrétaire général, Jean-Claude Delage, a clairement appelé à voter Nicolas Sarkozy, promet déjà à un rassemblement national le 11 mai prochain. Unité SGP police, qui n’a pas pris position pour l’un ou l’autre des candidats, ne sera pas en reste. Son secrétaire général, Nicolas Comte, appelle à une manifestation le 10 mai. Pour dire son fait au gouvernement… de François Fillon, qui devrait rester en place jusqu’au 15 mai. Deux défilés, plus celui des “inorganisés”, qui annoncent déjà par SMS un rassemblement contestataire devant toute les préfectures… le 9 mai.

Eternelle histoire de l’arroseur arrosé ? Les slogans qui seront mis en avant le 10 mai mettront Nicolas Sarkozy et Claude Guéant au supplice. Au menu, l’arrêt de la politique du chiffre, l’arrêt de la RGGP, autrement dit des compressions budgétaires et la présomption d’innocence pour les policiers (à ne pas confondre avec la présomption de légitime défense proposée par le candidat Sarkozy, dont l’application reviendrait, dans l’absolu, à accorder la légitime défense à tout policier qui ferait usage de son arme).

De quoi augurer d’un quinquennat policièrement agité pour le prochain président.

http://www.marianne2.fr/fredericploquin/m/fredericploquin/Sarkozy-et-la-police-dernier-coup-avant-la-rupture-finale_a78.html