Cadeau empoisonné de Nicolas Sarkozy à son successeur : le malaise des policiers. Pendant dix ans, il a placé la lutte contre l’insécurité au coeur de son action. Au moment où il quitte l’Elysée, les forces de l’ordre sont exsangues et désabusées.

Le mouvement de protestation spontané qui a suivi la mise en examen pour « homicide volontaire » d’un gardien de la paix de Seine-Saint-Denis est, à cet égard, symptomatique. Il ne durera sans doute pas, mais exprime crûment la réalité des commissariats et des brigades de gendarmerie. Le premier réflexe des policiers de Seine-Saint-Denis, le 25 avril, n’a d’ailleurs pas été de se diriger vers la Place Vendôme pour contester la décision d’un juge, mais bien de manifester sous les fenêtres du ministre de l’intérieur. C’est toute la « chaîne pénale » qui est aujourd’hui en crise, du gardien de la paix au magistrat.

L’arrivée de Nicolas Sarkozy Place Beauvau, en 2002, avait pourtant marqué le début d’une période dont les policiers se souviennent avec nostalgie. Le « premier flic de France » avait alors provoqué une vraie rupture, renforcé les effectifs, modernisé les équipements, soutenu ostensiblement les troupes.

Mais ce bel élan n’était que le prélude à la « politique du chiffre », à l’irruption d’un management simpliste dans la police, à une utilisation systématique de la statistique pour juger de l’efficacité des services de police et à un système de primes avantageuses réservées aux chefs de service en cas de bons résultats. Cela a dressé les différents corps les uns contre les autres, gardiens de la paix, officiers et commissaires. La création désordonnée d’unités spécialisées a ajouté à la pagaille.

Initialement favorisée par l’amélioration des moyens, autant que par l’énergie de M. Sarkozy, cette politique n’a résisté ni à la révision générale des politiques publiques, ni au passage de relais à deux ministres de l’intérieur successifs moins charismatiques que lui.

Ce que M. Sarkozy ministre de l’intérieur avait accordé aux policiers, M. Sarkozy président le leur a retiré. Alors que la pression sur les résultats est toujours aussi forte, les effectifs sont passés en dessous de leur étiage de 2001. Après avoir supprimé les adjoints de sécurité (héritiers des emplois-jeunes) pour les remplacer par des titulaires après 2002, le mouvement inverse est à l’oeuvre : les postes supprimés sont compensés par des précaires. La réduction des effectifs ne s’est accompagnée d’aucune rationalisation des structures. Alors on rogne par-ci par-là. Telle unité antiémeute est dévitalisée sans être supprimée, les brigades anticriminalité des petits commissariats ne tournent plus qu’avec deux fonctionnaires, au risque de les mettre en danger.

Le futur ministre de l’intérieur va donc devoir apaiser ce ras-le-bol à la fois profond et diffus.

Sa difficulté sera d’autant plus grande que les syndicats de policiers, empêtrés dans une forme de cogestion, ont du mal à canaliser ce malaise.

Sa chance est que, dans les commissariats, plus personne n’attend aujourd’hui de miracle.

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