TÉMOIGNAGES Plusieurs centaines de policiers manifestaient à nouveau ce jeudi à Paris pour dénoncer la dégradations de leurs conditions de travail.

Par MARIE PIQUEMAL

Une pancarte parmi d’autres : «Ras la ranger.» Ce midi, place du Châtelet à Paris, ils étaient quelques centaines de policiers venus dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail. Leur colère a explosé le 25 avril dernier, quand un policier de Noisy-le-Sec a été mis en examen pour homicide volontaire après avoir tiré et tué un homme en fuite. Depuis, rassemblements et manifestations se succèdent, avec ou sans l’appui des syndicats. Aujourd’hui, ils répondaient à l’appel d’Unité police SGP-FO, syndicat majoritaire chez les gardiens de la paix et plutôt de gauche. Demain, c’est Alliance, deuxième syndicat de la profession (de droite) qui prend le relai.

Entre deux sandwichs, six policiers témoignent, sous couvert d’anonymat pour éviter les représailles de leur hiérarchie.

«Dans le métro, on nous crache dessus»
Deux gardiens de la paix, de la brigade du métro, dix et six ans de service :

«Les gens ne nous respectent plus. Ce n’est même plus choquant de blesser un policier. Notre fonction n’est plus respectée, les mentalités ont changé. Parfois, dans le métro, on nous crache dessus. C’est un ensemble de choses. Les grilles de salaire n’ont pas évolué par rapport au niveau de vie, ça aussi, ça joue. Il y a aussi la baisse des effectifs, évidemment. Par exemple, à Paris, on n’a plus d’équipe à Barbès [XVIIIe arrondissement], la station est abandonnée aux vendeurs à la sauvette. Et puis, il y a la pression du chiffre. Tous les jours, nos chefs nous rappellent qu’il faut faire un maximum d’interpellations. Cela rejaillit sur les équipes, même si chacun le vit différemment. Cela a un impact surtout sur les plus jeunes, en attente de mutation. Avec l’ancienneté, on change. A partir du moment où l’on n’attend plus rien de l’administration.»

«Allez dans un commissariat voir comment se font traiter les collègues»

Deux officiers de police judiciaire, une femme et un homme, dans un commissariat parisien :

«On travaille surtout dans les bureaux, mais la dégradation des conditions de travail, on la constate de la même manière que nos collègues sur le terrain. La pression, elle se traduit par un nombre de dossiers importants à traiter dans des délais raccourcis. Avec la baisse des effectifs, on se retrouve avec une charge de travail énorme. Comme partout, on subit les restrictions budgétaires. Obligé de s’acheter nous-mêmes les tampons, avec notre argent, faute de mieux. Pareil pour les cahiers et stylos. Mais ça à la limite, ce n’est pas le plus grave. Ce qui est insupportable, c’est que, quand on fait notre taf, comme le collègue de Noisy-le-Sec, on est mis en cause. Une mise en examen, on sait ce que ça veut dire, c’est une mise en accusation. Cela participe aussi à la mauvaise image que les gens ont de notre métier. Allez dans un commissariat, vous verrez comment se font traiter les collègues. Il n’y a plus aucun respect pour l’institution. Les gens ne viennent même pas aux convocations, ils s’en foutent, c’est incroyable. Peut-être qu’avec le changement de Président, les choses vont changer. On peut rêver.»

«On engorge les tribunaux, on produit de la statistique. C’est tout»

Kamel Hadj, délégué syndical du 93 Unité SGP et Gaël Trichet, gardien de la paix syndiqué à la Plaine-Saint-Denis (93) depuis sept ans.

«La baisse des effectifs a de lourdes conséquences en matière d’efficacité et de sécurité. Dans notre département, on a créé des unités spéciales qui interviennent dans plusieurs communes en fonction des besoins. Résultat : on débarque dans des villes que l’on ne connaît pas ou mal. Or, en terme de sécurité, c’est important d’avoir en tête les ruelles, de maîtriser la topographie. Surtout, on est moins efficace. Les renforts mettent un temps fou à arriver. Pour les constatations de cambriolage, les gens doivent parfois attendre trois heures parce qu’aucun véhicule n’est disponible. Ce n’est satisfaisant ni pour les administrés, ni pour nous.

L’affaire de Noisy-le-Sec a été le déclencheur. Mais le problème est plus ancien. Il faut remonter dix ans en arrière quand on a décidé de gérer la police nationale comme une entreprise privée. Notre mission devrait d’abord être de faire cesser les infractions que de les réprimer. Plutôt que d’arrêter une centaine de shiteux avec leur petite barrette, on préfèrerait démanteler un réseau de stupéfiants. Ce serait plus utile. Mais voilà, on nous demande de faire du chiffre, toujours plus de chiffre. C’est facile d’interpeller pour tout et n’importe quoi, mais à quoi ça sert ? On engorge les tribunaux, on produit de la statistique. C’est tout.»

http://www.liberation.fr/societe/2012/05/10/c-est-facile-d-interpeller-pour-tout-et-n-importe-quoi-mais-a-quoi-ca-sert_817788

(merci à Cat Aclysme)