TCHAT Baisse des effectifs, politique du chiffre, les policiers manifestent pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail. Nicolas Comte, du syndicat Unité police SGP-FO a répondu à vos questions.
Jacques. Pourquoi les deux syndicats majoritaires le SGP-FO et Alliance ne manifestent-ils pas ensemble ? Une coordination de ces deux syndicats donnerait plus de force à vos revendications ?
Nicolas Comte. Non, tout simplement parce que nous n’avons pas les mêmes revendications. Le syndicat Alliance relaye, lui, la proposition de Nicolas Sarkozy de mettre en place une présomption de légitime défense. Nous considérons à SGP-FO que c’est une fausse bonne idée, et nous avons d’autres revendications qui correspondent aux véritables problèmes rencontrés aujourd’hui par nos collègues. A savoir, l’abandon de la RGPP – le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite –, l’abandon de la politique du chiffre, et le renforcement de la présomption d’innocence, afin qu’un policier qui a été reconnu coupable de rien ne perde pas la totalité ou une partie de son traitement.
Adrien. Où les coupes budgétaires se font-elles le plus sentir ?
N. C. Les coupes budgétaires se font principalement sentir dans les crédits de fonctionnement en sécurité publique – c’est-à-dire des difficultés pour tout ce qui est matériel et fournitures: problème d’approvisionnement en essence, problème de papier, de cartouches d’encre pour les imprimantes, problème de véhicules, comme à Grenoble où l’on n’avait pas les moyens d’acheter des pneus neige en hiver.
Godzilla. Pourquoi manifester maintenant à la transition Sarkozy/Hollande ? Je ne comprends pas très bien le choix de l’époque pour manifester…
N. C. Il y a un ras le bol qui s’est manifesté il y a une dizaine de jours. L’élément déclencheur de ces séries de manifestations ayant été la mise en examen pour homicide volontaire de notre collègue de Noisy-le-Sec. Comme on était dans l’entre-deux-tours de la présidentielle, nous ne souhaitions pas que ce soit récupéré politiquement. On a attendu la fin des élections.
Emmanuel. Qu’attendez-vous du prochain gouvernement de François Hollande ? S’il devait y avoir une urgence, où se situerait-elle ?
N. C. Ce serait de réembaucher des policiers et de supprimer cette politique du chiffre.
Mogwaï. Pourquoi on vous demande sans cesse d’appliquer la politique dite «du chiffre» ?
N. C. La politique du chiffre consiste, en fonction des infractions, à fixer des objectifs de contraventions ou d’interpellations aux policiers. C’est pour nous la plus mauvaise manière de faire de la police, parce que le chiffre n’est plus un indicateur mais a été érigé en religion. Le policier a comme objectif de produire de la statistique, mais pas de résoudre les problèmes que rencontrent ses concitoyens. On a privilégié la quantité à la qualité. Il est par exemple, plus intéressant d’interpeller trois fumeurs de shit qu’un trafiquant, cela fait de meilleures statistiques.
Autremonde. La politique du chiffre n’a-t-elle pas paradoxalement menée les policiers à constater les infractions les plus «faciles» (Code de la Route, notamment), au détriment des infractions nécessitant des enquêtes au long cours (trafic,…) ?
N. C. Si, bien sûr. C’est pour cela que le chiffre doit être un indicateur, mais pas une fin en soi.
Autremonde. Existe-t-il des consignes sur la réception des plaintes pour «masquer» les chiffres des infractions ?
N. C. Ça arrive, mais ça existe depuis qu’il existe des statistiques sur la délinquance, c’est-à-dire depuis quarante ans. Mais la tendance s’accentue quand on fait du chiffre de la délinquance un objectif politique.
Autremonde. Craignez-vous que certaines «têtes» tombent lors de l’investiture du nouveau gouvernement ?
N. C. Je ne le crains, ni ne l’espère, ce n’est pas trop notre problème. On est un syndicat, on fera avec les interlocuteurs qui nous seront désignés par le nouveau ministre de l’Intérieur.
Arno. Pourquoi avoir attendu les élections pour dénoncer cet état de fait et ne pas avoir manifesté plus tôt, pendant le quinquennat de celui qui se présentait comme votre défenseur ?
N. C. Je crois que l’on ne s’est pas gêné pour manifester pendant le quinquennat. En septembre dernier, nous avons fait un meeting où il y avait 600 policiers rassemblés à Créteil pour dénoncer la politique du chiffre et la diminution des effectifs. En novembre 2008, nous étions 7 000 dans les rues de Lyon pour dénoncer déjà à cette époque les difficultés que rencontraient nos collègues.
MicMego. Pourquoi ne pas déposer vos armes en préfecture, puisque l’usage de celle-ci vous est systématiquement reproché, alors pourquoi en avoir une ? Vous êtes des professionnels, la République vous a armé, elle doit donc vous protéger, physiquement et juridiquement…
N. C. La République doit effectivement nous protéger physiquement et juridiquement. Nous attendons également que la Justice nous protège, mais nous avons aussi comme mission de protéger nos concitoyens, c’est pourquoi nous n’appelons pas à un dépôt des armes.
Vidocq. Vous dites que la «présomption de légitime défense» est une mauvaise idée, je le pense aussi, surtout pour le mauvais signal que cela donnerait. Mais, pourquoi ne vous entendons pas plus fort sur ce sujet ? Vu de l’extérieur, on a l’impression que la police est unanime sur ce point…
N. C. Pour nous, on n’est pas responsable de l’écho que l’on peut donner à nos propos. On a eu l’occasion ces derniers jours dans différents médias d’exprimer ce point de vue.
Autremonde. Quelle est votre position sur la police dite «de proximité» ?
N. C. Notre position est de considérer que la proximité est forcément nécessaire dans le travail de la police, cela fait partie de ses missions. Ce serait une erreur de considérer que c’est le seul aspect du travail de la police. Mais ça été une erreur de s’en passer totalement.
Autremonde. La police est-elle encore une institution respectée ou ressentez-vous un décrochage vis-à-vis de la population ?
N. C. Non, je crois qu’il y a un véritable décrochage avec la population, une rupture entre la police et la population. D’autre part, les policiers sont de plus en plus souvent victimes d’agressions physiques ou verbales dans l’exercice de leur fonction.
http://www.liberation.fr/societe/2012/05/11/pourquoi-les-policiers-manifestent-t-ils_818029
(merci à Cat Aclysme)