Bonjour,
Très fidèle auditeur de votre émission, je suis aussi Commissaire de Police.
J’exerce cette profession dans ce que d’aucuns appellent une “banlieue sensible”. Par choix
A titre personnel, je suis très surpris que cette colère ne se soit pas manifestée bien avant. Un grand nombre d’éléments me laissait penser que cela puisse être le cas.
Les policiers ne sont plus des thuriféraires de M. Sarkozy depuis bien longtemps. S’ils ont bien reçu un certain nombre de réformes lors de son arrivée au ministère de l’intérieur en 2002, à mon sens en 2007, lors de son élection, le divorce était déjà en partie consommé.
C’est ainsi que la colère s’est sédimentée:
– la politique du chiffre est décriée à raison. Si dans un premier temps, elle a permis de gagner en efficience et d’optimiser un certain nombre de pratiques puis de gagner en efficacité opérationnelle, un effet de seuil est assez vite apparu. Tout d’abord, si les statistiques peuvent être un moyen utile pour mesurer la délinquance de sa circonscription puis d’en orienter la politique d’intervention, elle est rapidement devenue un fin en soi. Le temps passant, n’était traitée majoritairement que la délinquance la plus porteuse en terme statistique et non plus celle dont était victime le plus durement la population. Par ailleurs, un service public ne peut être géré comme une entreprise privée. D’une part parce que cela est contraire à sa mission. D’autre part, parce qu’on n’en a jamais donné véritablement les moyens aux chefs de services. Je ne peux ni récompenser, ni gratifier, ni promouvoir mes fonctionnaires à hauteur de ce qu’il faudrait. Ni les sanctionner d’ailleurs.
– les policiers n’exercent pas un métier comme un autre. Ils ont très souvent une haute idée de ce qu’il doit être et ressentent comme une trahison à leur vocation mais aussi à la population, de ne pouvoir s’investir pleinement dans ce qui fait la particularité de ce service public. La politique du chiffre a éloigné les policiers du sens de leur engagement, a augmenté leur ressentiment face aux solutions qu’ils pouvaient de moins en moins apporter aux victimes. Le malaise s’est installé.
– l’application d’un certain nombre de directives ministérielles (patrouilleurs, ILE…) a eu raison d’un grand nombre de motivations, surtout quand elles véhiculaient un calcul politique dont nul n’était dupe.
– la police s’est grandement paupérisée. L’application rigide de la RGPP a vidé les commissariats de ses fonctionnaires. Les moyens matériels ont fait défaut. L’immobilier s’est dégradé. Les conditions de travail sont devenues misérables. Le manque de fonctionnaires “insécurise” ceux qui sont sur la voie publique et augmente le portefeuille de dossiers de ceux qui travaillent en investigation. L’équilibre de mon service ne tient plus qu’à la présence ou à l’absence d’un fonctionnaire. Je n’ai plus aucune latitude de gestion. Je ne suis pas sur d’avoir une visibilité à plus de 15 jours.
– l’insécurité juridique est une crainte obsessionnelle chez les policiers. L’actualité malheureuse de Noisy le Sec en est l’illustration. Nombre de policiers, alors qu’ils sont dans de pures conditions de légitime défense, préfèrent désormais prendre le risque d’être sévèrement blessés plutôt que de faire usage de moyens mis à leur disposition dans le cadre d’une mission accomplie au nom de l’Etat, car l’éventualité de se retrouver mis en examen et de devoir revendre le domicile familial le temps de l’instruction est trop grande. D’autres préfèrent ne pas voir. Il en est de même en matière de police judiciaire où la multiplication des textes et des réformes rend le travail policier de plus en plus technique, voire incompréhensible. Ce ressentiment est d’autant plus grand que lorsque la justice semble souffrir de ses dysfonctionnements, c’est à la police qu’on administre le traitement…
– les relations avec la justice sont assez tendues, les policiers comprenant de moins en moins le sort fait aux délinquants, là où ils sont si durement poursuivis. C’est d’autant plus vrai pour l’affaire de Noisy le Sec. La justice de Seine Saint Denis est souvent extrêmement clémente avec les délinquants (par manque de moyens et aussi par idéologie) ce qui creuse le contraste avec la qualification retenue dans cette affaire.Les raisons d’un mouvement revendicatif sont donc présentes et nombreuses depuis plusieurs années maintenant. Ayant participé à la grande manifestation de 2001, je pensais que les conditions étaient réunies pour qu’un tel mouvement se réitère.
Toutefois ce ne fut pas le cas. Tout d’abord parce que la police est sans doute moins solidaire qu’il y a dix ans. Place de la Nation en 2001, toute la police, toutes les directions étaient réunies. Le commissariat de banlieue défilait aux côtés de la Brigade Criminelle (F. Péchenard était alors à la tête de ses hommes lors de cette manifestation). Aujourd’hui, les intérêts se sont morcelés et l’indifférence commence à prévaloir. Les syndicats policiers ne peuvent plus porter de mouvements unitaires.Et cela parce que l’administration a été extrêmement intelligente. Elle a acheté (le mot n’est pas trop fort) les syndicats qui ont été bien trop heureux de l’être. En offrant aux seuls syndicats (en contradiction souvent avec l’avis des chefs de services) la gestion des avancements et mutations, elle a obtenu implicitement qu’ils n’occupent plus le terrain des revendications statutaires. Alors que les syndicats par frénésie clientéliste s’affrontaient pour gérer les gamelles et les bidons aux niveaux les plus bas, l’administration ne rencontrait plus d’opposition à l’échelle centrale et poursuivait le lente désagrégation de ce service public. Certains syndicalistes en ont été richement remerciés…
C’est pour cela que le dernier mouvement est issu d’une base non syndiquée (alors que 80% des effectifs sont syndiqués), ou syndiquée mais ayant compris l’apathie de leurs représentants. Maintenant les syndicats peinent à encadrer un mouvement qui leur échappe. La solution est pourtant simple : qu’ils reviennent à l’essence de leur mission.
Bien cordialement.
France Inter
http://www.franceinter.fr
(merci à Cat Aclysme)