Auteur de La Mort à Veracruz (Points) et d’autres romans non traduits en français, Héctor Aguilar Camin dirige la revue mensuelle Nexos, à la croisée du journalisme d’investigation et des sciences humaines.
Nexos a contribué à éclairer l’explosion des violences au Mexique, comparant les chiffres officiels à d’autres études empiriques. Depuis 2007, on compte plus de 50.000 homicides liés au crime organisé.
Héctor Aguilar Camin n’en avoue pas moins sa « stupeur » face « au sinistre tournoi de brutalités en vue de terroriser l’ennemi, quitte à dépasser toutes les limites ».
« Il y a une compétition macabre : si un cartel tue, l’autre répond en mutilant ses victimes, et le premier réplique en les mutilant encore vivantes. Nous sommes dans une spirale. Des jeunes assassins chargent les images de leurs forfaits sur une clé USB pour prouver à leurs chefs leur efficacité. »
L’horreur est presque quotidienne : « La froideur et l’indifférence routinière avec laquelle les criminels mettent en œuvre leur imagination sadique dépasse l’entendement. Nous n’arrivons pas à comprendre par quel processus social, psychologique ou moral ils en sont arrivés là. Lorsqu’on évoque le mal, c’est qu’une telle amoralité est au-delà de notre compréhension. »
Un criminel a dissous dans l’acide trois cents cadavres. Un mineur a tué plus de quarante personnes. « Les victimes sont dépossédées de toute humanité. Il ne s’agit plus de vengeance. Leur corps est utilisé comme objet, pour envoyer un message. »
La sociologie et l’histoire du Mexique offrent-elles des clés ? « Pareille cruauté révèle la perte des valeurs de solidarité et du sentiment d’appartenance à une communauté, répond Aguilar Camin. Une société et un système éducatif qui n’offrent pas d’opportunités, favorisent la fuite vers la violence. »
Ainsi, « Ciudad Juarez, ville frontalière, n’a pas de tissu social ni de terreau pour la citoyenneté : ni églises, si sports, ni familles. Les jeunes grandissent dans la rue, soumis à l’influence du plus malin ou du plus cruel. Les narcos leur offrent armes et argent. »
Cependant, Aguilar Camin accuse les médias de déformer la perception nationale et internationale des violences : « Le Mexique paraît plus dangereux que l’Irak, alors qu’il y a moins d’homicides qu’au Brésil ». Les médias auraient cédé à la facilité, consistant à rendre compte des atrocités, sans chercher les explications, sans faire du journalisme d’investigation.
Le Mexique est en campagne électorale, en vue d’élire le prochain président de la République et de renouveler le Congrès, le 1er juillet. Ni le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre), favori des sondages, ni le Parti d’action nationale (PAN, droite au pouvoir), ne pourront renoncer au déploiement des forces armées pour combattre les cartels.
« La démilitarisation de la sécurité publique n’est pas réaliste, tant que le crime organisé disposera d’une telle capacité de nuisance, estime Aguilar Camin. Mais il faut construire des polices efficaces et soumettre les militaires à la logique du pouvoir civil, les intégrer aux règles de la société et à la justice ordinaire. » Pour l’instant, ils relèvent des tribunaux militaires.
« L’armée n’a pas de vocation de pouvoir ni de tradition putschiste, mais elle a une longue histoire d’exécutions sommaires et de disparitions, ajoute le directeur de Nexos. Je crois que nous allons assister à l’émergence d’un mouvement de proches de disparus qui réclament une élucidation. Les corps non réclamés ne coïncident pas avec les listes de disparus. »
Soupçonné d’avoir été proche du président Carlos Salinas de Gortari (1988-1994), Héctor Aguilar Camin a toujours démenti :
« Au Mexique, il n’y a jamais eu de conseiller du prince. A moins d’assumer des responsabilités politiques, aucun intellectuel n’a exercé la moindre influence sur le pouvoir. Un président mexicain a plus d’information que n’importe quel centre de recherches, privé ou public. Cependant, ma génération a commencé à accéder aux médias, à être présente dans les pages des quotidiens et à créer de nouveaux journaux. Par ce moyen, nous pouvons peser sur le débat public et sur les priorités de l’agenda politique. »
A son avis, un « nouveau consensus » s’est dégagé au Mexique autour d’un certain nombre de questions : la démocratie comme seule forme légitime d’accéder au pouvoir, les droits de l’homme, des finances publiques capables d’éviter les catastrophes, l’insertion dans la mondialisation, la solidarité sociale et le désir de bien-être, l’exigence d’une éducation de qualité et, bien entendu, de sécurité publique.
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