Cacher la drogue dans les gaines techniques des immeubles est passé de mode. Trop risqué car ces planques sont connues et font l’objet d’inspections de plus en plus ciblées des services de police. Les trafiquants ont trouvé une parade efficace. Ils squattent les appartements de locataires appelés dans leur jargon les « nourrices ». Une occupation souvent contrainte, mais parfois acceptée par certains.
Et toujours contre une rétribution pour s’assurer du silence de ces nourrices, jamais choisies au hasard .
Ces habitants au-dessus de tout soupçon mettent, bon gré mal gré, leur logement à la disposition des trafiquants. « Ces derniers repèrent souvent des familles isolées, désargentées, vivant des minimas sociaux, des personnes vulnérables et dont ils savent qu’elles seront perméables à cette proposition contre rémunération », décrypte Roland Gauze, le directeur interrégional de la police judiciaire de Marseille. Fin mai, ses services ont démantelé un réseau de nourrices dans la gigantesque cité de Campagne-Lévêque qui cachait 60 kg de cannabis mais aussi trois pistolets automatiques chargés, un pistolet Manurhin 222 et un fusil d’assaut kalachnikov avec ses chargeurs. Parmi ces nourrices, un pensionné par la Cotorep (invalidité) et une famille monoparentale.
Un maillon essentiel du trafic
« Hormis la fonction de cache, l’appartement sert aussi de position de repli pour les trafiquants. Ils peuvent ainsi se réfugier chez des gens insoupçonnables. Ils possèdent souvent un double des clés quand ils ne les confisquent pas purement et simplement à leurs hébergeurs. Les trafiquants parviennent à leurs fins grâce à un mélange de pression et de perversité sur leurs victimes », détaille Roland Gauze, constatant que le nombre de nourrices augmente, ce qui permet de diviser les risques pour les trafiquants.
Sociologue de l’univers urbain qui travaille à Marseille pour l’association Transvercité, Claire Duport resitue ce phénomène. « Les habitants des cités sont contraints de se soumettre au caïdat local. Les dealeurs s’approprient l’espace des cités aux dépens de la population. Et ces trafiquants enrôlent de très jeunes guetteurs, des gamins dé- scolarisés car ils savent qu’ils échapperont à toute poursuite pénale. » Selon elle, l’activité des nourrices illustre parfaitement « cette économie du cannabis qui est avant tout une économie de la pauvreté servant à remplir le réfrigérateur et le cartable du petit frère ».
« Les nourrices sont par la force des choses les otages des trafiquants et deviennent leurs complices malgré elles. Certains n’en ont pas conscience. D’autres collaborent ouvertement, comme ce fut le cas à Campagne-Lévêque où l’une d’elles découpait les barrettes de haschisch », raconte le patron de la PJ marseillaise. C’est d’ailleurs chez une femme et son fils que les policiers ont découvert 15 kg d’herbe, 6 kg de résine, deux pistolets 9 mm et 10000 € en liquide. Et, chez un homme, un kalachnikov et un coffre-fort avec plusieurs dizaines de milliers d’euros.
« Les trafiquants savent s’adapter. Les réseaux sont devenus de véritables petites entreprises industrielles où chacun a un rôle au milieu d’un système très cloisonné difficile à remonter. Ils ont appris à modifier leurs types de caches », résume Jean-Jacques Fagni, procureur adjoint de Marseille. « La police s’adapte aussi », ajoute le magistrat, déterminé à mettre hors jeu les nourrices, un des maillons essentiels à l’essor du trafic.
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