Gardiens de la paix dans notre région, ils aiment encore leur métier, malgré le danger et les polémiques. Dans les quartiers, ils sont exposés en permanence. Un rapport de force permanent, où « l’on ne peut pas se montrer faible ».

Ils ont appris l’autre matin la mort de deux collègues parisiens, délibérément broyés dans leur voiture par des trafiquants de drogue. Ils n’ont pas oublié le lieutenant d’Aix-en-Provence, tué par les balles tirées en 2011 à Vitrolles par un gang de cambrioleurs. Ils y pensent parfois, en patrouille. Ils n’en parlent guère.

« Le danger n’est pas propre à la Bac »

« On a beaucoup de pudeur et de fierté. On ne s’épanche pas » reconnaît Yan, 43 ans, gardien de la paix dans une brigade anticriminalité (Bac) d’une grande ville du Languedoc-Roussillon. « Le danger n’est pas propre à la Bac. Il fait partie du métier. » Avec, dans l’ombre, la peur, qui vient rôder. « Être sur les dents et craindre ce qui peut arriver sur une intervention, ça existe. Mais aller travailler avec la peur au ventre, non. » Chacun a pourtant ses fantômes. Pour Michel, 46 ans, Bacman depuis vingt-deux ans, c’est cette chapelle ardente, il y a vingt ans, « avec deux collègues tués, où je me dis : “Putain, ils ont mon âge…” ».

« Ce qui nous bouge, c’est la recherche du flag »
Max, 46 ans, vingt ans de Bac

La Bac, Yan y est entré il y a quinze ans, « par vocation. Je voulais être flic, je ne me suis pas trompé de concours ». Travailler en Bac, c’est un choix. « L’archétype du jeu du gendarme et du voleur, quand on était gamin » assure Michel, 46 ans, Bacman depuis vingt-deux ans. « C’est une police de “saute-dessus”. Le voleur, c’est moi qui l’attrape. »

A la Bac, on patrouille en civil, à trois, la nuit comme le jour. « On tourne en voiture, pendant des heures. Ce qui nous bouge, c’est la recherche du flag » embraye Max, 46 ans et vingt ans de bac. Cambrioleurs, voleurs de voiture, dealers, agresseurs. « Il faut connaître son terrain, ses gens, son monde, sa faune. C’est le B.A.-BA de la rue » souligne Yan. « Le saute-dessus, c’est la finalité. Mais avant, il y a tout un travail. Suivre, observer, réagir. » Loin du bureau, presque autonomes.

« Un mec avec une boulette de shit, c’est un bâton »

Une police « du spontané, de l’instinctif » où il faut « faire face rapidement. En théorie, on est envoyés les premiers sur place, parce qu’on est plus discrets qu’un véhicule sérigraphié. On est dans l’instant ». Dans l’instant, dans l’action. Une vie rythmée par l’adrénaline. « Ça devient presque une drogue » avoue Michel. « Au fil des ans, je me rends compte que je ne travaille plus pour l’administration ou pour la population, mais pour moi. Ces moments où on a le cœur qui monte, il n’y a que ça. Se faire des braqueurs en flag, c’est un rêve. »

Il y a aussi des moments de forte tension. « Dans les quartiers, on est exposé en permanence » constate Michel. « Il faut gagner tout le temps. C’est un rapport de force permanent, on ne peut pas se montrer faible. C’est la seule façon d’avoir une forme de respect. » Pour ça, il faut « des mecs surmotivés, qui ont du sang-froid, assez sereins, et pas influençables face aux insultes. Faut pas partir au quart de tour. » Au fil des ans, les “baqueux” trouvent que l’essence de leur métier se perd. « Il y a un décrochage avec la politique du chiffre, depuis dix ans poursuit Michel. Un mec avec une boulette de shit, c’est un bâton. Un braqueur, c’est aussi un bâton. Il en faut tant par semaine. Ça n’a aucun intérêt. »

« L’excès de pouvoir, c’est très facile »

Max est du même avis, qui ne cache pas son amertume envers sa hiérarchie et les tracasseries administratives : « On veut que la Bac soit transparente. Mais on ne peut pas gérer ça comme une entreprise. L’État a de la chance d’avoir encore des services comme ça. Mais on est jalousés, critiqués, montrés du doigt. On a presque plus de respect de la part des délinquants qu’on interpelle que des chefs avec qui on travaille. »

L’affaire des dérives de la Bac nord de Marseille, dont certains membres sont soupçonnés d’avoir été ripoux, a fait mal. « Il faut laisser de l’autonomie aux gars, mais il faut aussi du contrôle. Après, quand on franchit le cap, on le sait très bien » estime Yan. Même regard pour Michel, qui rappelle qu’après vingt ans de service, un Bacman est payé 2 000 € par mois : « L’excès de pouvoir, c’est très facile. Je me suis retrouvé sur un braquage, seul dans le magasin, avec des dizaines de milliers d’euros de bijoux à mes pieds. On y pense, bien sûr, parce que c’est humain. Mais on ne le fait pas, sinon, on n’a plus rien à faire dans la police. »

DES POLICIERS SOUVENT SUR LE FIL DU RASOIR
Particulièrement exposés, les policiers des brigades anti-criminalité payent régulièrement un lourd tribut.

Le 21 février dernier, deux agents sont tués sur le périphérique de Paris lorsqu’un chauffard ivre et sans permis a percuté leur voiture pour forcer le passage, au terme d’une course-poursuite. Le troisième collègue est très grièvement blessé.

Dans la nuit du 1er au 2 mars, à Marseille, un voleur a délibérément foncé sur un policier qui tentait de l’arrêter. Sous le choc, ce dernier a eu le pied fracturé. Le malfaiteur a été arrêté quelques heures plus tard. En novembre 2011, un lieutenant de la Bac d’Aix-en-Provence avait été tué par balles, en intervenant sur un cambriolage nocturne à Vitrolles.

Mais de victimes, les policiers de la Bac se retrouvent également en position d’accusé : à Carcassonne, une enquête est ouverte sur un policier de la Bac qui a tiré à plusieurs reprises sur une voiture qu’il tentait de stopper, croyant, à tort, qu’il s’agissait de celle d’un évadé recherché.

A Millau en juin 2012, un jeune homme qui aurait tenté d’échapper à un contrôle est tué d’une balle tirée par un policier de la Bac, qui jure avoir agi en situation de légitime défense. Une enquête judiciaire est ouverte, alors qu’un an plus tôt, un collectif s’était monté, pour dénoncer la violence de la Bac millavoise.

Enfin, plusieurs policiers de la Bac nord de Marseille ont été poursuivis en 2011, et certains incarcérés, pour une série de malversations dans l’exercice de leurs fonctions.

SOURCE : LE MIDI LIBRE