Image dépréciée, manque de soutien de la hiérarchie, effectifs et matériel insuffisants : à Clermont comme ailleurs, la police de terrain ne va pas bien. Et elle le dit.Ils le revendiquent eux-mêmes : ils sont policiers « de base ». Depuis une quinzaine d’années maintenant, Christophe, Claude et Nicolas (*) arpentent les rues de l’agglomération clermontoise. Ni enquêteurs spécialisés, ni officiers, ils font partie de la centaine d’hommes et de femmes affectés localement aux patrouilles de police secours. Leur mission au quotidien : gérer toutes les urgences sur la voie publique. « En gros, quand vous faîtes le 17, c’est pour nous ! », résume l’un d’eux dans un sourire.Par devoir, mais aussi un peu par fierté, on les entend rarement. Pour La Montagne, ils ont pourtant accepté d’évoquer leur travail et leur malaise « grandissant », insistent-ils. Sans langue de bois.1 Un rythme « usant ». Les effectifs de police secours sont séparés en deux entités : les « nuiteux », qui patrouillent de 21 heures à 5 heures du matin ; et les équipages de jour. Pour ces derniers, le roulement est toujours le même : deux jours d’après-midi (13 h-21 h), deux jours de matin (5 h-13 h), et deux jours de repos. Ce qui leur offre en moyenne un week-end complet de relâche toutes les… sept semaines.« Je vous laisse imaginer l’impact sur la vie de famille », soupire Christophe, bientôt vingt ans de maison. Le troisième jour du cycle, dit de la « bascule », laisse aussi des traces : « Le temps de finir le boulot, poursuit le gardien de la paix, je suis rarement chez moi avant 22 heures, et debout à 3 h 30, pour repartir au charbon. Les gens nous disent souvent qu’on a l’air crevé, mais c’est vrai ! » Le tout pour un salaire oscillant aujourd’hui, entre 2.000 et 2.500 euros nets mensuels pour le mieux loti, prime de risque incluse. « Comme un prof, les avantages en moins », grince Nicolas. Constat étonnant : les policiers français sont en effet parmi les moins bien payés d’Europe.2 Des moyens parfois désuets. Une fois sur le terrain, les agents doivent aussi composer avec un équipement très inégal. En vrac, selon nos trois témoins : un GPS pour quatre véhicules en moyenne, des radios régulièrement en panne, un parc automobile vieillissant, etc. Résultat : les équipes partent souvent en intervention en se guidant grâce au Smartphone d’un fonctionnaire… « C’est la démerde permanente », lâche Christophe, amer.Après « des années de lutte », sourit-il, lui et ses collègues viennent tout juste d’obtenir des lampes et des gilets réfléchissants : « On a eu du mal à faire comprendre que même pour l’équipe dite de jour, à 5 heures du mat’ ou à 20 heures, il fait souvent nuit… Là c’est bon, on entre dans le 21 e siècle ! » ironise le gardien de la paix, qui dit acheter lui-même ses gants pour procéder aux palpations.3 L’outrage banalisé. Preuve d’un raidissement sensible des rapports avec la population, les trois policiers déplorent une « banalisation rampante des outrages ». Selon eux, les insultes fusent désormais « pas tous les jours, mais presque ». « On est arrivé au point où même notre hiérarchie nous demande de ne pas relever ces incidents, confie Claude. Récemment encore, on m’a dit : « Ne déposez pas plainte, vous allez vous faire mal voir ». C’est quand même hallucinant, non ? » Plus largement, nos trois témoins déplorent un manque de soutien « récurrent » de leurs supérieurs. Nicolas : « Être confronté à la délinquance tous les jours, ce n’est pas un souci, c’est le job. Mais quand on doit se battre contre nos propres chefs, qui remettent notre parole en doute, ça fait très mal… »4 « On n’a plus la foi ». Également « écrasés par la paperasse » (une heure de procédure pour une simple alcoolémie au volant…), lassés de devoir multiplier les missions « pour pallier le manque d’effectifs », les trois hommes de police secours avouent un « ras-le-bol grandissant ». « Au départ, j’étais vraiment fier d’être flic. Aujourd’hui, terminé. Moi, comme mes équipiers, on n’a plus la foi », souffle Christophe. « La levée du drapeau avec la Marseillaise, à l’école de police, ça me foutait des frissons, poursuit Claude. Quinze ans plus tard, tout ça ne veut plus rien dire. Il n’y a rien qui me raccroche à ma mission. Et c’est triste ».

(*) Les prénoms ont été changés.

Stéphane Barnoin

SOURCE : LA MONTAGNE