Alain Frapolli a pris sa retraite en 2002, au moment où la police de proximité était rangée au rayon des mauvaises idées par une droite revenue aux affaires. Tout un symbole tant ce policier a agi pour faire naître cette police devenue l’un des points de fixation de la divergence idéologique entre droite et gauche.

Comme tant d’autres familles, celle d’Alain Frapolli est arrivée en France en 1962 après que l’Algérie eût cessé d’être française. Il se souvient du centre d’accueil de Bordeaux où il a passé un premier hiver « rude et froid », du racisme dont ils étaient victimes et auquel il « ne comprenait rien », de l’école et du football qui lui ont « permis de [s’]intégrer ». Cet « enfant de la déchirure française », tel qu’il se définit, passera les concours administratifs et rejoindra la police qu’il ne quittera plus jusqu’à la retraite.

Sa première affectation est à Bordeaux, à la circulation. Puis ce sera les CRS qui le mèneront un peu partout au gré des missions. Enfin, en 1989 il arrive au bureau de police de la Paillade, le quartier dit difficile de Montpellier. « J’avais un diplôme d’Etat d’animateur, j’avais été CRS maître-nageur sur les plages alors, du jour au lendemain, on m’a dit ‘tu vas aller faire de l’animation’ à la Paillade dont je connaissais la réputation. Je suis arrivé la fleur au fusil ! », raconte-t-il. C’était en 1989, c’était la police de proximité avant l’heure et « ce n’était pas simple ».

« Peu à peu, on a réussi à faire en sorte que le bureau de police ne soit plus un endroit où on voulait foutre le feu. Les gens venaient et nous faisaient confiance.
L’intérêt de créer ces contacts, c’était d’avoir une vue d’ensemble du quartier.
Du coup, on pouvait faire des actions de police ciblées.
On ne faisait pas d’amalgame entre les délinquants et leurs voisins.
Putain, à Montpellier on a réussi à faire des choses bien… « , raconte-t-il, nostalgique.

« Un jour j’étais en survêt’, le lendemain, j’étais en uniforme », résume-t-il. Il était des policiers qui jouaient au football avec les jeunes du quartier, les emmenaient à la piscine ou à la plage, etc. Bref, il les connaissait. « Parfois, les collègues me demandaient si je n’avais pas honte de faire ce travail ». Il n’avait cure des remarques désobligeantes car cette façon de procéder ne « l’empêchait pourtant pas d’être flic », explique-t-il en montrant une coupure jaunie d’un journal local où il a été photographié s’entraînant au tir.

On sent qu’il pourrait parler des heures de cette période. Il multiplie les anecdotes : les coups de fil à pas d’heure pour qu’il vienne régler une situation tendue, les moments où ça coinçait avec sa hiérarchie, les exemples de ces gamins devenus des trentenaires « respectables et respectés ». A mesure qu’il fait le récit de ces bouts de vie dans la police de proximité, il tourne les pages d’un classeur où il a rangé les articles de journaux le concernant. On l’y voit à la piscine avec des adolescents, au commissariat, au Centre de loisirs des jeunes. Il y est photographié comme l’homme de l’année de la Gazette de Montpellier ou quand il a été nommé chevalier de l’Ordre national du mérite en récompense de « 29 ans de services civils, militaires et d’activités sociales » comme il est sobrement écrit dans le décret.

Vint le moment de la retraite. Il aurait pu continuer quelques années. « J’étais fatigué, saturé. C’était quand même dur à gérer. Il fallait que je prenne une décision. Je l’ai prise, sans regret ». C’est « depuis son canapé » qu’il a vu « les politiques et l’administration casser en peu de temps tout le travail ». « On est d’accord, le tout préventif, n’a pas de sens. Mais c’est inconsidéré de parler de nettoyage au Kärcher. Et puis on a fait de fausses économies en baissant les effectifs de la police nationale. Quand Nicolas Sarkozy est devenu ministre de l’intérieur, il a bousillé en quelques mois tout le travail de fond », déplore, amer, celui qui envisage de se présenter aux législatives dans la deuxième circonscription de l’Hérault, où se trouve la Paillade, justement.

Le retour de la police de proximité figure dans le programme du nouveau président de la République. Ce qui suscite des espoirs mesurés chez Alain Frapolli. « Ce sera tellement dur de recommencer… Il va falloir recoller les morceaux. Le prochain ministre de l’intérieur devra remettre la police dans la rue », martèle-t-il. Que lui conseillerait-il à ce futur ministre socialiste ? « J’aimerais qu’il fasse appel à moi ! », plaisante-t-il. « Plus sérieusement, je souhaite qu’il regarde attentivement ce que l’on a fait toutes ces années. Surtout, je lui dirais de moduler le discours sur la police de proximité dès l’école de police, où les gamins rêvent plutôt d’intégrer la BAC ou le RAID ».

Depuis sa retraite, Alain Frapolli n’était pas retourné à la Paillade, pour mieux tourner la page. Il y retourne depuis trois mois – nous l’avions rencontré lors de l’ « agora ». Il y voit les gamins d’autrefois devenus des adultes, des pères et des mères de famille, des policiers parfois. « Leur réussite, leur intégration – je ne sais pas comment il faut dire – c’est ma plus grande réussite. Et ça on ne peut pas me l’enlever », conclut-il à voix basse, l’œil humide.

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